Le Dit de Sörli ou la Saga de Heðinn et Högni

 

Sörla  Þáttr eða Héðins Saga ok Högna - Le Dit de Sörli ou la Saga de Heðinn et Högni

 

 

Traduction Arnfried à partir des versions anglaises et norroises.

 

 

 

 

 

 

Court texte évhémériste écrit en Islande à la fin du XIVème siècle, compilé dans le Flateyjarbók,  le Sörla Þáttr est un exemple typique du travail de l'Église pour discréditer les Dieux vénérés autrefois par le peuple.
Óðinn, Njörð et Freyja sont ici présentés comme des roitelets asiatiques (Asgard a souvent été assimilé à Troie chez certains auteurs médiévaux), "prêtres" mais surtout sorcier capables de changer de forme ou de lancer de terribles malédictions. Loki n'est quant à lui qu'un simple fils de fermier.
À l'opposé de la pureté chrétienne se trouve aussi la manière dont Freyja obtient son collier (le Brísingamen cité dans l'Edda ou dans Beowulf). Elle se vend au quatres nains pour obtenir le bijou, ce qui a pour effet de déclencher l'ire de Óðinn, informé par le rusé Loki. Cet acte de luxure sera le point de départ des malheurs qui accableront Heðinn et Högni, véritables héros du texte, et que seul un chrétien charitable pourra évidemment libérer de leur tragique destin...

 


 

 

 

 

1. De Freyja et des Nains

 

À l'est de Vanakvísl, en Asie, il y avait un endroit appelé Asíaland ou Asíaheimr. Les gens qui vivaient là étaient nommé Æsir, et ils appelaient leur capitale Asgard. Óðinn était le nom du roi qui y régnait. Il y avait là un grand sanctuaire. Óðinn avait nommé Njörð et Freyr grands prêtres. La fille de Njörð s'appelait Freyja, elle accompagnait Óðinn et était son amante.
Il y avait des hommes en Asie, l'un s'appelait Álfrigg, le second Dvalinn, le troisième Berlingr et le quatrième Grérr. Ils avaient leur demeure non loin de la halle du roi. C'étaient des artisans si habiles qu'ils pouvaient tout faire, et bien le faire. On appelait ces hommes des nains. Ils vivaient dans un certain rocher. Ils se mélaient plus du monde des hommes à cette époque qu'aujourd'hui.
Óðinn aimait beaucoup Freyja, car elle était la plus belle de toutes les femmes qui vivaient alors. Elle avait une chaumière, aussi belle que solide - si solide, disait-on, que lorsque la porte était fermée et verrouillée, personne ne pouvait entrer à moins que Freyja ne le veuille.
Un jour, Freyja marchait et arriva par hasard près du rocher. Il était ouvert. Les nains étaient en train de forger un collier en or. Le travail était presque fini. Freyja aima l'aspect du collier. Les nains, eux, aimèrent l'apparence de Freyja. Elle demanda à acheter le collier, offrit de l'or et de l'argent en échange, et de bons trésors en plus. Ils dirent qu'ils n'étaient pas à court d'argent, mais que chacun vendrait sa part du collier pour une unique chose, et qu'ils ne voulaient rien d'autre, à savoir une nuit avec chacun d'eux. Et, que cela ait été fait avec plaisir de sa part ou non, ils conclurent ce marché. Et quatre nuits plus tard, lorsque ces conditions eurent été remplies, ils livrèrent le collier à Freyja. Elle rentra chez elle et se tut, comme si rien ne s'était passé.

 

2. L'Accord d'Óðinn et de Freyja

 

Il y avait un homme appelé Fárbauti. C'était un simple fermier, et il avait une femme nommée Laufey. Elle était à la fois mince et légère, c'est pourquoi on l'appelait Aiguille. Ils avait un enfant, un fils nommé Loki. Il n'était pas très grand. Mais il eu vite eu la langue bien pendue, agile et rapide. Il surpassait les autres hommes dans cette sorte de sagesse qu'on appelle la ruse. Il était très rusé, même dès son plus jeune âge, c'est pourquoi on l'appelait Loki le Rusé.
Il partit pour Asgard pour trouver Óðinn et devint son homme. Óðinn parlait toujours selon les conseils de Loki, quoi qu'il fasse. Bien sûr, Óðinn lui confia aussi des tâches difficiles, mais Loki les a accomplies mieux que prévu. Il savait presque tout ce qui se passait, et il racontait tout à Óðinn , quoi qu'il sache.
Maintenant, on dit que Loki avait compris le secret de Freyja et de son collier, comment elle se l'était procuré et ce qu'elle avait donné en échange; il en parla à Óðinn. Et quand Óðinn appris cela, il déclara que Loki devrait mettre la main sur ce collier et le lui apporter. C'est peu probable, dit Loki, car aucun homme ne pouvait entrer dans la chaumière à moins que Freyja ne le veuille. Óðinn déclara qu'il devait partir et ne pas revenir avant d'avoir récupéré ce collier. Loki s'éloigna en hurlant; la plupart des gens se réjouissait que Loki ne réussisse pas sa mission.
Il alla à la chaumière de Freyja et la trouva fermée à clé. Il s'efforça d'entrer, mais il ne pu. Il gelait dehors et il commencait à avoir très froid.
Il se transforma en mouche. Il inspecta tous les verrous et les joints, mais il ne pu trouver d'ouverture pour entrer; sauf une, juste sous le pignon, qui n'était pas plus grande qu'un trou d'aiguille, et il s'y faufila. Quand il fût entré, il ouvrit très largement ses yeux, et il se demanda si quelqu'un était réveillé, mais il pu voir que tous étaient endormis dans la maison. Il s'avanca donc vers le lit de Freyja et remarqua qu'elle avait le collier autour du cou, mais avec le fermoir tourné vers le bas. Loki se transforma alors en puce. Il s'installa sur la joue de Freyja et la mordit de telle manière que Freyja se réveilla, se retourna, puis à nouveau se rendormi. Alors Loki quitta la forme de puce, lui arracha le collier, ouvrit le pavillon et retourna auprès de Óðinn.
Le lendemain matin, Freyja se réveilla et vit que la porte était ouverte, mais toujours intacte, et que le beau collier avait disparu. Elle pensait savoir quelle ruse se cachait derrière ceci, aussi elle entra dans la halle dès qu'elle se fût habillée, pour voir le roi Óðinn. Elle lui dit qu'il avait mal agi en la laissant se faire voler son précieux bijoux, et lui demanda de le lui rendre.
Óðinn dit qu'elle l'avait obtenu avec tant de sagesse que jamais elle ne le récupérerai, "Sauf si tu fais en sorte que deux rois, chacun servi par vingt rois, soient en désaccord et se battent l'un contre l'autre sous de telles étranges malédictions qu'ils se relèvent et continuent à se battre dès qu'ils tombent, à moins qu'un Chrétien n'ait le coeur si brave, accompagné de la chance de son Seigneur, qu'il n'ose entrer dans cette bataille et frappe ces hommes avec des armes. Ce n'est qu'ainsi que s'achèvera leurs tourments - grâce à n'importe quel chef qui les libèrera ainsi de leurs peines et de la détresse de leurs actions malveillantes".
Freyja accepta, et il lui rendit le collier.

 

3. Du Viking Sörli

 

À cette époque, vingt quatre hivers après la chute de Fróði la Paix, un roi appelé Erlingr régnait sur l'Oppland en Norvège. Il avait une reine et deux fils. Sörli le Fort était l'aîné, et Erlendr le cadet. C'étaient des hommes prometteurs. Sörli était le plus fort d'entre eux. Ils se mirent à faire des raids dès qu'ils furent assez âgés. Ils combattirent Sindri le Viking, fils de Sveigr, le fils de Háki le Roi des Mers, dans les Elfarskerjum, et Sindri y tomba avec toute sa bande. Dans cette bataille, Erlendr fils de Erlingr tomba également. Après cela, Sörli navigua vers l'Est de la Baltique et combattit là-bas. Il y fit tant d'exploits qu'il fallut beaucoup de temps pour tous les écrire.

 

4. De Sörli et du Roi Högni

 

Hálfdan était un autre roi. Il dirigeait le Danemark. Son siège royal était à Roskilde. Il avait épousé Hveðna l'Ancienne. Leurs fils furent Högni et Hákon. C'étaient des hommes exceptionnels par leur force, leur stature et leurs talents. Ils se mirent à piller dès qu'ils eurent atteint leur pleine maturité.
L'histoire raconte maintenant que Sörli mis le cap un automne sur le Danemark. Le roi Hálfdan avait alors l'intention de se rendre à une assemblée de Rois. Il était très avancé en âge lorsque ces choses se produisirent. Il possédait un si bon dreki que, grâce à sa solidité et à l'expertise de sa réalisation, il n'en existait pas de tel dans les pays du Nord. Il était amarré dans le port, mais le roi Hálfdan était à terre et avait convoqué des invités à son festin d'adieu. Mais lorsque Sörli vit le dreki, une grande convoitise envahit son cœur, de sorte qu'il voulut à tout prix le posséder et l'avoir pour lui tout seul - et en effet, comme la plupart l'admettent, il n'y eu jamais de meilleur navire que celui-ci dans tout le Nord, à l'exception des dreki Elliða et Gnoð, et du Orminum langa.
Il parla alors à ses hommes, leur disant de se préparer à la bataille, "car nous allons tuer le roi Hálfdan et prendre son navire."
Un homme appelé Sævarr répondit à son discours - c'était l'homme du gaillard d'avant et le maréchal de Sörli. "Ce n'est pas une bonne idée, seigneur", dit-il, "Hálfdan est un grand chef et un homme célèbre. Il a aussi deux fils pour le venger, et ce sont maintenant tous deux des hommes de grande renommée."
"Qu'ils soient plus puissants que les Dieux", dit Sörli, "je les combattrai de la même manière".
Alors ils se préparèrent à livrer bataille.
Le roi Hálfdan eu vent de cette nouvelle. Il se dirigea vers ses navires avec tous ses hommes, et ils se préparèrent au combat. Certains hommes dirent à Hálfdan qu'il n'était guère prudent de se battre et qu'il devait fuir, à cause de la différence de nombre. Le roi dit qu'ils seraient d'abord couchés en tas, leurs morts empilés les uns sur les autres avant qu'il ne s'enfuit. Les deux camps se rangèrent en ordre de bataille,  et une féroce bataille éclata dont la fin fut telle que le roi Hálfdan tomba ainsi que tous ses hommes. Sörli pris alors le dreki et tout ce qui avait de la valeur à son bord.
Puis Sörli entendit que Högni était revenu d'un raid et qu'il avait jeté l'ancre près de l'île d'Óðinsey. Sörli se dirigea vers cette île avec ses navires, et dès qu'ils se rencontrèrent, il lui annonca la mort de son père Hálfdan, lui proposa une compensation, dont il peut fixer les conditions, et lui proposa d'être son frère de sang, mais Högni refusa tout. Ils se battirent donc, comme il est dit dans le Chant de Sörli. Hákon s'avança hardiment et tua Sævarr, le porte-étendart et maréchal de Sörli. Après cela, Sörli tua Hákon, et Högni tua le roi Erlingr, le père de Sörli. Högni et Sörli se battirent ensuite, tous les deux, et Sörli tomba devant Högni à cause de ses blessures et de sa fatigue. Après cela, Högni le fit soigner, ils prêtèrent serment de fraternité et s'y tinrent aussi longtemps qu'ils vécurent. Mais Sörli mourrut le premier, chez les vikings à l'Est, comme il est dit dans le Chant de Sörli:

Tomba là l'avide de combat,
De la guerre l'hôte principal,
Ardent sur les mers de l'Est,
Au rez-de-chaussée des Enfers;
Mourut ici le brave,
Dans la vallée de la joie des poissons,
La barre perçante mordant
Les Vikings bardés de mailles.

Mais lorsque Högni apprit la mort de Sörli, il fit un raid à l'Est le même été, il remporta des victoires partout et y devint roi et, comme on le dit, vingt rois se soumirent à Högni et lui payèrent tribut. Högni devint si célèbre grâce à ses exploits et à ses combats que son nom était connu aussi bien du Finnmark à Paris que partout ailleurs.

 

5. Heðinn entend parler du Roi Högni

 

Il y avait un roi appelé Hjarrandi. Il régnait sur le Serkland. Il avait une reine et un fils appelé Heðinn. Heðinn devint bientôt un homme exceptionnel par sa force, sa stature et ses capacités. Dans sa jeunesse, il se lança dans des raids et devint un roi des mers. Il fit de nombreux raids en Espagne et en Grèce, ainsi que dans tous les royaumes avoisinants, de sorte qu'il assujettit vingt rois, qui lui payèrent un tribut et gardèrent leurs terres sous son contrôle.
Heðinn passa l'hiver chez lui dans le Serkland. On raconte qu'une fois, Heðinn alla chasser avec sa suite. Il se retrouva seul dans une clairière. Il vit une femme assise sur une chaise dans la clairière, grande et belle à voir. Elle l'accueilli avec courtoisie. Il lui demanda son nom et elle déclara s'appeler Göndul. Après cela, ils parlèrent ensemble. Elle l'interrogea sur ses exploits, et il fut heureux de tout lui raconter. Il lui demanda si elle connaissait un roi aussi audacieux et puissant que lui, ou aussi célèbre et prospère. Elle lui répondit qu'elle en connaissait un qui était son égal, et que vingt rois servaient; et qu'il s'appelait Högni et qu'il vivait au Danemark, dans le nord.
"Ce que je sais," dit Heðinn , "C'est que nous devrions maintenant vérifier lequel d'entre nous est le meilleur."
"Il est probablement temps pour toi de retourner auprès de tes hommes", dit Göndul, "Ils doivent te chercher."
Après cela, ils se séparèrent. Il s'en retourna vers ses hommes, mais elle resta assise là. Dès le printemps, Heðinn se prépara à partir. Il avait un dreki et trois cents hommes à son bord. Il navigua en direction des pays du Nord, tout l'été et tout l'hiver. Au printemps, il arriva au Danemark.

 

6. Heðinn et Högni testent leurs compétences

 

Le roi Högni était alors chez lui. Et lorsqu'il apprit qu'un roi renommé était venu dans son pays, il l'invita chez lui pour un grand festin. Heðinn accepta. Alors qu'ils étaient assis en train de boire, Högni demanda pour quelle raison Heðinn était venu, ou ce qui lui avait donner envie de voyager si loin au Nord du monde. Heðinn lui parla de ses affaires, qu'il voulait qu'ils testent tous les deux leur courage et leur endurance l'un contre l'autre, leur hardiesse et toutes leurs capacités. Högni dit qu'il était prêt pour cela. Et tôt le lendemain, ils allèrent nager et tirer sur des cibles. Ils s'affrontèrent dans des joutes, à l'épée et dans toutes les disciplines, et ils étaient si semblables dans chaque compétence que personne ne pouvait trouver de différence entre eux, ni dire qui était le meilleur. Ensuite, ils se jurèrent fraternité et acceptèrent de tout partager équitablement. Heðinn était jeune et célibataire, mais Högni était un peu plus âgé. Il était marié à Hervör, fille de Hjörvarðr, le fils de Heiðrekr Peau-de-Loup. Högni avait une fille qui s'appelait Hildr. C'était la plus belle et la plus sage des femmes. Il aimait beaucoup sa fille. Il n'avait pas d'autres enfants.

 

7. La transformation de Heðinn

 

On dit qu'au bout d'un certain temps, Högni parti faire un raid, mais Heðinn resta pour veiller sur son royaume. Un jour, Heðinn partit se divertir dans la forêt. Il faisait beau. Une fois de plus, il fut séparé de ses hommes. Il arriva dans une clairière. Il y vit, assise sur une chaise, la même femme qu'il avait déjà vue au Serkland, et elle lui semblait encore plus belle qu'avant. Une fois de plus, elle lui adressa la parole agréablement. Elle lui tendit une corne fermée d'un couvercle. Le cœur du roi était rempli de désir pour elle. Elle l'invita à boire, et le roi avait soif car il avait eu chaud, alors il prit la corne et but. Mais quand il eût bu, il se trouva étrangement altéré, car il ne se souvenait plus de ce qui s'était passé auparavant. Il s'assis et ils parlèrent ensemble. Elle lui demanda s'il avait éprouvé les prouesses et la hardiesse de Högni comme elle le lui avait dit. Heðinn répondit que c'était chose faite, "et qu'il n'y a pas une seule compétence que nous ayons testée dans laquelle il n'ai pas réussi, et nous nous sommes donc considérés comme égaux".
"Mais vous n'êtes pas égaux", dit-elle.
"Comment peux-tu dire cela ?" dit-il.
"Je vois les choses ainsi", dit-elle, " que Högni a une Reine de grande lignée, mais que tu n'as pas de femme du tout."
Il répondit : "Högni me donnerait sa fille si je la lui demandais, et je ne serais pas moins distingué que lui dans le mariage".
"Ta gloire serait moindre", dit-elle, "si tu demandais à te marier dans la famille de Högni. Il vaudrait mieux - si, comme tu le dis, tu ne manques ni de courage ni de ténacité - emporter Hildr et tuer la reine de la manière suivante : en la prenant et en la déposant devant la proue du dreki, et en la laissant se faire couper en deux lors de sa mise à l'eau".
Heðinn était tellement saisi par le mal et l'oubli, à cause de la bière qu'il avait bue, qu'il ne voyait pas d'autre choix; et il ne se rappela pas que lui et Högni étaient frères jurés.
Ils se séparèrent alors, et Heðinn se rendit chez ses hommes. L'été était déjà bien avancé.
Heðinn mit ses hommes au travail pour équiper le dreki, car il disait vouloir rentrer chez lui au Serkland. Une fois cela fait, il se rendit à l'endroit où se trouvait Hildr et la Reine, en saisit une dans chaque bras, et sortit avec elles. Ses hommes prirent les vêtements et les richesses de Hildr. Personne dans le royaume n'osa défier Heðinn et ses hommes, tant son regard paraissait féroce.
Hildr demanda à Heðinn ce qu'il avait l'intention de faire, et il le lui dit. Elle le supplia de ne pas le faire, "Parce que mon père me donnera à toi si tu le lui demande."
"Je ne veux pas faire ça", dit Heðinn , "demander pour ta main".
"Même si rien ne te dissuade de m'enlever, mon père te pardonnera, à condition que tu ne fasses pas une chose si mauvaise et malavisée que de causer la mort de ma mère; car alors mon père ne te pardonnerai jamais. Et, ainsi se sont déroulés mes rêves :  vous vous battiez et vous vous entretuiez. Mais des choses encore plus terribles se produiront, et je serai très triste de voir mon père soumis à des sévices et à des sortilèges puissants, et je suis triste de te voir te débattre dans de telles conditions.
 Heðinn dit qu'il ne se souciait pas de ce qui pourrait suivre, et qu'il ferait exactement ce qu'il a dit qu'il ferait.
"Tu ne peux pas faire autrement maintenant", dit Hildr, "parce que tu n'es pas maître de toi-même."
Puis Heðinn retourna sur le rivage, et le dreki fût mis à l'eau. Il poussa la Reine en bas, devant la proue. Elle y perdit la vie, et Heðinn monta sur le bateau. Et quand il fût prêt à partir, il eût hâte de débarquer à l'endroit où il avait été auparavant et de retourner, seul, dans ce même bois. Lorsqu'il s'avança dans la clairière, il vit Göndul assise sur sa chaise. Ils se saluèrent amicalement. Heðinn lui raconta ses exploits. Elle s'en réjouit. Elle avait la corne qu'elle avait déjà utilisée et lui proposa à boire. Il la prit et bu. Quand il eût bu, le sommeil l'envahit et il posa sa tête sur ses genoux. Et tandis qu'il dormait, elle glissa de sous sa tête et dit : "Maintenant, avec mon pouvoir, je te contrains à respecter toutes les conditions qu'Óðinn a décrétées, en te maudissant avec ces sorts, toi et Högni, et tous vos hommes."
Heðinn se réveilla et regarda vers Göndul, et maintenant elle semblait noire et grande. Heðinn se souvint alors de tout, son malheur sembla grand, et il pensa à partir quelque part pour ne pas avoir à s'entendre blâmer chaque jour ses mauvaises actions. Il se rendit à son bateau, largua rapidement les amarres - un vent favorable soufflait au large - et s'en alla avec Hildr.

 

8. La Bataille des Hjaðningar

 

Högni rentra chez lui et apprit la vérité, à savoir que Heðinn s'était enfui avec Hildr et le dreki de Hálfdan, laissant la Reine morte dans son sillage. Högni se mit très en colère et ordonna à ses hommes de partir à la poursuite de Heðinn. Ils firent ainsi, bénéficièrent d'un vent parfait, et jour après jour, arrivaient le soir dans le port que Heðinn avait quitté le matin même.
Mais un jour, alors que Högni entrait dans le port, ils purent voir les voiles de Heðinn au large. Högni et son équipage se dirigèrent alors droit sur eux. Et, chose étrange mais vraie, Heðinn eût alors un vent contraire, mais Högni la meilleure des brises marines. Heðinn se rendit sur l'île de  Há et y jetta l'ancre dans la rade. Högni fut bientôt sur lui et lorsqu'ils se rencontrèrent, Heðinn lui dit respectueusement : "Je dois te dire, mon frère de sang, qu'un si grand malheur m'est arrivé que personne à part toi ne peut l'amender. Je t'ai ôté ta fille et ton navire, et j'ai causé la mort de ta Reine, non pas à cause d'une quelconque cruauté de mon mauvais cœur, mais à cause de mauvaises sorcelleries et de funestes sorts. Maintenant, je veux que tu fixes tes propres conditions et que tu décides de la manière de faire la paix entre nous. Et je te proposerai aussi de te rendre Hildr, et le navire avec tous mes hommes et mes biens, et de partir si loin dans le monde que je ne reviendrai plus jamais dans le Nord ou devant tes yeux tant que je vivrai".
Högni répondit : "Je t'aurais donné Hildr si tu l'avais demandée. Et même maintenant que tu l'as enlevée, nous aurions pu faire la paix pour cela. Mais tu as fait tant de mal et agi si honteusement avec ma Reine, qu'il y a peu de chances que j'accepte compensation. Nous devons découvrir dès maintenant lequel d'entre nous peut frapper le plus fort."
Heðinn répondit : "Si seule te contente la bataille, alors je suggère que nous prouvions qu'il s'agit d'un problème entre nous deux, puisque tu n'as de querelle avec personne d'autre ici que moi. Il n'est pas juste que des hommes innocents paient pour mes crimes et mes méfaits."
Mais les partisans de l'un et de l'autre jurèrent d'une seule voix qu'ils tomberaient d'abord tous aux pieds des uns et des autres plutôt que de les laisser échanger des coups à deux. Quand Heðinn vit que Högni n'accepterait rien d'autre que de se battre, il ordonna à ses hommes de débarquer. "Je ne céderai plus la place à Högni, ni ne m'excuserai de ce combat. Et maintenant, chacun doit se tourner vers son courage."
Ils débarquèrent alors et se battirent. Högni était fou de rage, et Heðinn habile à porter des coups durs. Étrange à dire, mais vrai, de si grands et si mauvais sorts participèrent à cette malédiction que même s'ils enfoncaient leurs lames les uns dans les autres, ils restaient debout comme avant et continuaient à se battre. Hildr était assise dans un bosquet et regardait ce sinistre jeu. Cette maudite servitude se poursuivit sans relâche du moment où ils commencèrent à se battre jusqu'à ce qu'Óláfr Tryggvason devienne Roi de Norvège. On dit que ce n'est que 143 ans plus tard qu'un de ses serviteurs les a libéra de ce terrible malheur et de cette épreuve cruelle, pour le bien du noble roi Óláfr.

 

9. La libération des Hjaðningar

 

On dit que la première année du règne du Roi Óláfr, celui-ci vint sur l'île de Há et qu'il y jeta l'ancre un soir. Les choses sur cette île étaient telles que les hommes placés là en sentinelles disparaissaient chaque nuit, de sorte que personne ne savait ce qu'ils étaient devenus. C'était le tour d'Ívarr le Brillant de monter la garde cette nuit-là. Mais quand tout le monde fut endormi à bord des navires, Ívarr pris son épée - que Járnskjöldr avait possédée, mais que Þorsteinn, son fils, avait donnée à Ívarr- s'équipa de protections et alla sur l'île. Quand il arriva sur l'île, il vit un homme qui s'avançait vers lui. L'homme était de grande taille et tout couvert de sang, avec un visage très grave. Ívarr demanda son nom à cet homme. Il lui dit qu'il s'appelait Heðinn fils de Hjarrandi, et qu'il venait du Serkland.
"Je te le dis en vérité; si les sentinelles ici disparaissent, c'est à moi et à Högni fils de Hálfdan que tu peux en vouloir, car nous sommes obligés par des sorts et des malédictions qui nous asservissent, nous et nos hommes, de nous battre nuit et jour, et il en a été ainsi pendant de nombreuses générations, et la fille de Högni, Hildr, est assise et regarde. Óðinn a jeté cette malédiction sur nous, et nous ne pouvons être libérés à moins qu'un chrétien ne se batte contre nous; ainsi l'homme occis ne se relèvera jamais plus, et alors chacun de nous sera délivré de la malédiction. Maintenant, je voudrais te demander d'aller au combat avec nous, car je sais que tu es un bon chrétien, et aussi que le Roi que tu sers est un homme de grande bonté. Et donc mon esprit me dit que nous obtiendrons quelque chose de bon de lui et de ses hommes."
Ívarr accepta de se battre contre eux.
Heðinn s'en réjouit et dit : "Tu devras faire attention à ne pas affronter Högni face à face, et aussi à ne pas me tuer avant qu'il ne soit à terre, car aucun homme ne peut affronter Högni et le tuer, si je suis déjà mort;  il a un ægishjálmr entre les yeux, dont personne ne peut se protéger. La seule chose à faire est que je lui fasse face et que je l'affronte, et que tu ailles derrière lui pour lui porter le coup de grâce. Puis tu n'auras guère de mal à me tuer, même si je suis le seul qui reste debout de nous tous.
Ils se battirent alors, et Ívarr vit que tout ce que Heðinn lui avait dit était vrai. Il se glissa donc derrière Högni, lui frappa la tête et le fendit jusqu'aux épaules. Högni tomba mort et ne se relèva jamais plus. Puis il tua tous les hommes qui étaient à la bataille, et enfin Heðinn, et ce ne fut pas une tâche difficile pour lui. Ensuite, il retourna aux bateaux, et le jour commençait à peine à se lever. Il alla voir le Roi et lui raconta ce qu'il s'était passé. Le Roi se réjouit du travail qu'il avait accompli cette nuit, et lui dit qu'il avait eu de la chance là-bas. Le lendemain, ils débarquèrent et allèrent sur le lieu de la bataille; ils ne virent aucune trace de ce qui s'y était passé, mais on trouva du sang sur l'épée d'Ívarr, ce qui était une preuve suffisante. Aucun autre veilleur ne disparut après cela. Après ces évènements, le roi rentra dans son royaume.

 

 

 

 

Lexique:

Dreki: Navire viking, dont le nom signifie littéralement "dragon". Pluriel drekar, qui a conduit à l'élaboration du mot français "drakkar" désignant l'ensemble des bateaux scandinaves anciens. Le terme dreki désignait à la base les figures fantastiques amovibles placées en proue et en poupe des navires et qui représentaient souvent des dragons.
 

Orminum langa: Célèbre bateau viking du Roi Óláfr Tryggvason, dont la longueur était estimée à environ 45 mètres. Sans doute le plus puissant et  le plus grand navire viking de son époque.
 

Serkland: Pays dont la localisation n'est pas déterminée précisément, mais qui pourrait désigner le "Pays des Sarrasins" ou le "Pays de la Soie", en tout cas un pays située au Sud-Est de l'Europe. Heðinn et son père Hjarrandi portent en revanche des noms bien germaniques, sans doute un reliquat de la présence de Royaumes Goths sur les rives de la Mer Noire à la fin de l'Antiquité
 

Óláfr Tryggvason: Roi de Norvège de 995 à 1000, arrière petit-fils de Haraldr hárfagri (aux Beau-Cheveux); il entreprit une christianisation forcenée de la Norvège, des Îles Féroé, des Orcades et de l'Islande et fonda Nidaros (actuelle Trondheim). Il périt à la bataille navale de Svolder le 9 septembre 1000.
 

Ægishjálmr: "Heaume de Terreur", il ne s'agit pas d'un objet mais d'un signe magique, tatoué ou dessiné sur la peau, ou gravé sur du bois et porté comme un talisman. Il servait à générer la peur chez l'adversaire et l'invincibilité chez son porteur qu'il protégeait.

 

Aegishjalmur

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